Terminus Belz - Emmanuel Grand
Auteur : François
Ils sont quatre, enfouis au fin fond d'un camion, camouflés au cœur de la cargaison. Trois garçons, une fille, tous ukrainiens. Leur objectif : rejoindre l'Ouest. Leur détermination n'a d'égale que leur courage. Lors d'un arrêt, les mafieux qui les ont pris en charge agressent la jeune fille. Les garçons se révoltent. Dans la bagarre survient un drame. Markos et ses compagnons se retrouvent à fuir de plus belle. Sans papiers ils leur faut non seulement éviter les autorités, mais désormais échapper aux gangsters qui les poursuivent.
Dans la fuite ils se séparent. Markos se retrouve seul à Lorient. Épluchant un quotidien local, il trouve presque trop facilement un emploi de marin pêcheur. Sur l'île de Belz, face à Lorient. Belz est une petite île. Tout se sait. Difficile de passer inaperçu. Markos réalise rapidement qu'il a fait fausse route. Si ses poursuivants arrivent jusqu'ici, il sera fait comme un rat. D'autant plus que les locaux se rendent rapidement compte de la supercherie : de marin il a usurpé le titre, et n'en a même pas le pied. Voici un étranger qui vole le travail des insulaires. Il focalise sur lui les rancœurs et les haines de cette petite communauté. Heureusement il parvient également à s'attirer quelques sympathies. A commencer par Joël, son patron, avec lequel il embarque chaque jour, et pour lequel Markos s'efforce de s'arracher du lit à quatre heures du matin tous les jours. Il réussit aussi à gagner l'amitié du libraire, trop heureux de nouer des liens avec un Ukrainien cultivé. L'institutrice ne le laisse pas indifférent, et le jeu de la séduction lui apportera un atout supplémentaire. Ces alliés ne seront pas de trop pour faire face aux événements de ce microcosme, dont la face rationnelle n'est que la partie immergée de l'iceberg.
Pour son premier roman, Emmanuel Grand réussit un tour de force magistral. Reliant le drame de l'immigration clandestine et de l'exploitation des hommes par les mafias à un contexte local Breton qui démultiplie l'intérêt de l'histoire. L'auteur pose la question de l'Etranger : comment il est perçu, accepté ou rejeté. Le contexte de la petite île favorise par son exacerbation le traitement de ce sujet.
Par ailleurs, Emmanuel Grand inscrit ses personnages au cœur du métier de marin pêcheur, dans un univers extrêmement confiné. Il nous embarque littéralement sur son histoire, et le lecteur prend l'embrun avec les personnages. Les difficultés des métiers de la mer constituent la trame de fond de l'intrigue. Les personnages évoluent au rythme des marées, des campagnes nocturnes. Ils sentent l'alcool et la tristesse des solitaires. Il y a de très beaux passage sur l'histoire des pêches au large, ou sur la manière dont les prix du poisson sont fixés par les représentants des grandes surfaces. L'ambiance envoûtante plonge ses racines dans les contes et légendes bretonnes, où la morte porte le nom de l'Ankou. L'île de Belz est fictive, ne la cherchez pas, cela pourrait être Groix, mais peu importe car l'atmosphère insulaire est parfaitement retranscrite. Le rythme de l'action est rapide, le style aisé, transformant chaque arrêt de lecture en crève-coeur. Un livre à lire impérativement, sur terre ou en mer.
Emmanuel Grand, Terminus Belz, 366p., LIANA LEVI, En librairie le 9 janvier